Concilier tradition et modernité
Tout ce qui a été fait dans le passé est important, mais il serait une erreur de s’y ancrer et de refuser d’évoluer. Dans le football d’aujourd’hui, il faut savoir trouver l’équilibre et concilier tradition et modernité. Tout ce que je vais vous dire là, je l’ai dit à des entraîneurs anglais, lors d’une conférence.
Avant toute chose, je vais brièvement vous expliquer les structures d’un club et le système de jeu mis en place, selon les pays, car ces deux choses sont indispensables pour viser l’excellence. Je me base sur mon expérience qui m’a permis de connaître trois championnats différents, trois cultures différentes à la fois administratives et sportives.
En Espagne, c’est avec le responsable de la partie technique, le directeur sportif et/ou le manager, et mon staff que nous avons remporté deux Liga et une Coupe de l’UEFA. Dans le championnat espagnol, à cette époque, le schéma tactique le plus répandu était le 4-2-3-1, avec toutes ses variantes possibles. Nous, ce que nous avions mis en place et il faut avouer que ce choix fut le bon.
En Angleterre, le 4-4-2 était le schéma à la mode. Administrativement, c’est le “manager” qui était tout en haut de la pyramide. Là encore, nous avons réussi à gagner des titres tant au niveau national (la Cup, le Community Shield) qu’au niveau international (Ligue des Champions et la Supercoupe d’Europe). Nous avons également atteint trois finales, la Carling Cup, la Ligue des Champions et le Mondial des Clubs (Coupe Intercontinentale). Même si le management à l’anglaise n’est pas le même que celui à l’espagnol, même si la culture foot n’était pas la même et même si nous utilisions un autre schéma tactique (4-2-3-1), cela ne nous a pas empêché de gagner des titres.
Enfin, en Italie, avec une organisation proche de celle qu’on trouve en Espagne, avec un directeur sportif qui est responsable, en théorie, des décisions sportives, nous avons remporté une Supercoupe d’Italie, un Mondial des clubs (Coupe Intercontinentale) et obtenu notre qualification pour la Ligue des Champions. Vu le climat et les conditions dans lesquelles nous travaillions, nous n’avons, globalement, pas eu de mauvais résultats. Mais nous ne sommes restés en place que 5 mois, et jamais, nous ne saurons ce qu’il se serait passé si nous avions enregistré les renforts qu’on avait demandé et que l’on nous avait promis. En Italie, le système le plus utilisé était le 4-3-1-2.
Une fois dit tout cela, il est évident que la différence la plus flagrante se situe au niveau organisationnel. Le manager à l’anglaise a d’autres attributions que le directeur sportif « espagnol » ou « italien ». Au niveau sportif, le football italien est plus lent et plus tactique, en Espagne, le jeu est plus rapide et plus technique et en Angleterre il est bien plus physique.
Pour revenir à notre question initiale, à savoir si un système administratif et un type de jeu étaient plus efficaces qu’un autre, je dirais que Liverpool, Manchester United, l’AC Milan, l’Inter ou le Barça ont été des champions d’Europe légitimes qui respectaient, chacun à leur manière, la culture et l’identité football de leur pays. C’est incontestable. Donc, dire qu’un système est plus efficace qu’un autre n’a pas vraiment de sens.
Le futur
Lorsque vous arrivez dans un nouveau club, qui a, bien entendu, une manière de fonctionner spécifique, il est très important de découvrir la culture du club, la ville, les supporters, et échanger avec des techniciens et des personnes qui travaillent au club depuis longtemps pour ne pas faire d’erreurs…Pour réussir quelque part, il faut respecter la culture d’un club et surtout ne pas vouloir changer son identité.
Lorsque vous arrivez dans une nouveau club, il est fondamental d’analyser l’effectif, d’apprendre à le connaître par postes, par âge, connaître la durée de contrat des uns et des autres, le comportement et la motivation de chacun, le potentiel de chaque joueur, leur nationalité pour faire en sorte que tout ce petit monde s’adapte au système mis en place.
Il est impossible de juger de la même manière un étranger qui arrive dans un nouveau championnat qu’un footballeur qui y évolue depuis plusieurs saisons.
Un autre aspect, qu’il ne faut surtout pas prendre à la légère c’est celui de l’argent et des impôts. Il y a quelques saisons, les différences étaient encore abyssales, en terme de pouvoir d’achat. Visez plutôt :
£ Euro Pesetas
1 1,5 250
10.000 15.000 2.500.000
50.000 75.000 12.500.000
60.000 90.000 15.000.000
100.000 150.000 25.000.000
1 millón 1.500.000 250.000.000
3 millones 4.500.000 750.000.000
5 millones 7.500.000 1.250.000.000
10 millones 15.000.000 2.500.000.000
15 millones 22.500.000 3.750.000.000
C’est bien souvent le nerf de la guerre, car, pour convaincre un joueur et négocier avec son agent, il est indispensable de bien connaître la valeur d’une monnaie pour avoir quelques arguments supplémentaires.
Comme vous pouvez le voir dans le tableau ci-dessus, la livre sterling était bien plus forte que l’Euro lorsque nous sommes arrivés en Angleterre, et à cette époque-là, nous, nous pensions encore en pesetas, l’ancienne monnaie espagnole…
En arrivant à Liverpool, il a fallut que nous nous adaptions nos méthodes à celles du fonctionnement quotidien du club. Nous avons rapidement analysé les résultats des tests médicaux et physiques réalisés par les joueurs dans le passé. Nous avons révisé l’historique des blessures de chaque joueur. Nous avons regardé une quantité industrielle de matches pour avoir une idée précise du niveau de chaque joueur. Nous nous sommes entretenus avec les techniciens du club pour connaître leurs opinions et leur philosophie. Au final et avec toutes ces informations, nous nous sommes faits une idée précise du club et comment nous devions adapter notre travail. Nous avons alors préparé un plan annuel de travail, que nous avons ensuite divisé par mois, par semaine et par jour. Pour chaque match, nous avions des objectifs très concrets. La planification est très importante dans le football moderne.
Mais il faut savoir s’adapter aux circonstances. C’est pour cette raison que, chaque jour, avant l’entraînement, nous nous réunissions avec les médecins et les« physios » pour connaître l’état de forme de chaque joueur. Toutes ces informations permettent de mieux préparer la séance d’entraînement et de l’adapter à la forme de notre effectif. Après chaque séance, nous organisons un débrief pour savoir si nos objectifs sont remplis et préparer le travail du lendemain.
La séance d’entraînement
Après la réunion avec les médecins et les « physios », je me réunis toujours avec mon staff technique pour parler, dans le détail, de la séance à venir.
Normalement, nos séances durent entre 60 et 75 minutes. Nous voulons toujours beaucoup d’intensité, que les joueurs s’impliquent et qu’ils sentent qu’on leur donne les moyens de progresser. 80% du travail, dans une saison, se fait avec ballon, avec des objectifs collectifs et une grande variété d’exercices.
Enfin, à la fin de la séance, nous organisons un travail spécifique, individuel et collectif. En particulier avec les plus jeunes pour qu’ils progressent dans certains aspects de leur jeu.
La compétition
Enfin, pour terminer mon « discours » j’ai tenu à aborder le thème de la compétition en elle-même.
Notre tactique, notre plan de jeu, nous le travaillons toute la semaine à l’entraînement. A mesure que l’heure approche, nous sommes de plus en plus précis. Pour faire passer le message et que les joueurs nous comprennent parfaitement, nous utilisons le tableau noir et la vidéo pour analyser notre adversaire et montrer les animations que nous allons utiliser. Tout doit être clair, net et précis.
Il est important d’insister sur la motivation tout en essayant de contrôler le stress de chaque jouer pour qu’il arrive le jour J dans les meilleures dispositions possibles. Si le joueur sait ce qu’il à faire et comment le faire, le plus gros du travail est fait. Ensuite, c’est à lui et à l’équipe de jouer.
A la mi-temps et à la fin du match, nous parlons avec les joueurs et récoltons un maximum d’informations pour préparer au mieux le match suivant.
Il est primordial de ne jamais oublier ce qui fait la force de notre club et de notre équipe, sans oublier non plus, que les temps changent et que le football évolue rapidement. Il faut donc bien connaître le passé pour être encore plus fort dans le futur.
Rafa Benítez